Entrevue avec M. André Laniel, dit le conteux du village

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Lors d’une entrevue au restaurant L’Arrivage du musée Pointe-à-Callière le 26 avril 2016, André Laniel nous dévoile avec franchise son parcours et son expérience de conteur.

Cet article est issu du numéro 7 de la Revue de l'interprétation, janvier 2017.

Biographie d’André Laniel Natif de Sainte-Geneviève sur l’île de Montréal, André Laniel est avant tout un conteur autodidacte. Il a été sa vie durant un homme au service du public : propriétaire de commerce, journaliste et gestionnaire de complexes sportifs dans l’Ouest-de-l’île de Montréal. Depuis 1975, André s’intéresse particulièrement à l’histoire de son patelin, d’autant plus que les Laniel sont l’une des familles souches de Sainte-Geneviève. Au cours des dernières années, André passe de simple interprète à conteur, ajoutant de la vivacité et de la couleur à ses visites et à ses conférences données dans les écoles et auprès des Sociétés d’histoire. Vice-président de la Société patrimoine et histoire de l’île Bizard et Sainte-Geneviève, ce passionné d’histoire collecte la mémoire de sa localité et fait connaître son patrimoine avec chaleur et convictions.

Comment êtes-vous devenu le conteux du village ?

C’est en quelque sorte un accident. En tant que bénévole de la Société d’histoire, je faisais des visites du village et de l’église de Sainte-Geneviève comme un interprète normal le ferait. Comme elle m’accompagnait lors de chacun de mes tours et qu’elle me connaît bien, c’est mon épouse Ghyslaine qui fut la première à m’encourager à adopter le personnage du conteur pour raconter l’histoire de notre coin de pays. Grâce aux suggestions de ma fille Evelyne, professionnelle de l’art clownesque, et aux costumes soigneusement confectionnés par mon épouse, j’ai pu me mettre dans la peau du conteux du village.

Est-ce qu’adopter le personnage de conteur donne une valeur ajoutée au métier d’interprète du patrimoine selon vous?

Absolument. Pour moi, c’était le choix approprié. J’ai pu aussi voir la différence avec une visite magistrale, ce que je faisais avant d’adopter le personnage de conteur. L’intérêt de mon personnage est d’amener naturellement une touche d’humour à la narration. Par l’intermédiaire de personnages que j’évoque au cours de ma visite  (la ménagère du curé, le curé Barrette, le messager du bureau de poste : le postillon, etc.), je redonne vie au monde d’hier et je raconte l’histoire de façon accessible et ludique. « Voilà encore que la ménagère du curé qui a comméré tout de travers. »

Quels procédés utilisez-vous en tant que conteur pour éveiller l’attention de votre auditoire ?

Je suis un visuel, vous savez. Pour moi, les accessoires et le costume d’antan font partie intégrante de la présentation tout comme l’intonation et l’usage d’un vocabulaire s’apparentant à la parlure de jadis. J’appuie mes dires en sortant ma pipe ou encore ma montre à gousset. J’utilise des photos anciennes et des témoignages que j’ai recueillis auprès des résidents de la localité. Mon épouse m’accompagne à chacun de mes tours du village et m’aide avec l’aspect visuel.

Mon interaction change en fonction de mon auditoire également. Une visite d’église ne sera pas la même qu’une conférence à une société d’histoire ou dans une école, même si dans les deux cas, j’y serai en tant que conteux du village.

Comment vous préparez-vous à une visite dans un lieu patrimonial? Quelles sont vos principales sources d’inspiration lorsque vous créez un personnage ou un scénario?

Mes visites se suivent mais ne se ressemblent pas. Il y a toujours place à l’improvisation ou à la nouveauté. C’est à la fois stimulant pour moi et pour les gens qui suivent mes visites du village, souvent à chaque année. J’ajoute un nouveau personnage pittoresque tous les ans. Pour stimuler mon imagination et aller chercher des anecdotes, je lis énormément, autant des fictions historiques que des ouvrages plus conventionnels. Membre émérite de la Société d’histoire, Mme Éliane Labastrou, auteure et coordonnatrice de deux livres consacrés à l’île Bizard, a fait le tour avec moi du village et des bâtiments patrimoniaux à mes débuts. J’ai depuis enrichi mon scénario.

Il faut dire que j’apprends beaucoup auprès des membres de ma communauté. J’ai recueillît des récits très intéressants auprès de l’ancien forgeron, par exemple, ou encore auprès du dernier chef des pompiers de l’ancienne ville de Sainte-Geneviève. Au restaurant du coin, où je dîne régulièrement, il arrive occasionnellement qu’un attroupement se crée autour de moi. J’en profite pour alimenter ma boîte à souvenances de tous ces témoignages sur le monde d’antan. 

En tant que conteur, vous êtes en contact avec différents publics, jeunes et moins jeunes et cela dans différents contextes. Adaptez-vous votre interaction en fonction de votre public?

Les premières réactions de mon public vont habituellement dicter la suite de mon intervention. Je teste ses connaissances et ses réactions et je m’adapte en conséquence. Mais chaque animation demande une bonne préparation de base.

Par exemple, lorsque j’ai animé pendant une journée 300 enfants de l’école Jacques-Bizard de l’île Bizard, je suis allée chercher des conseils auprès d’un pédagogue, M. Lewis, pour bien intervenir auprès d’eux. J’ai inventé deux petits personnages enfants, Etienne et Adrienne, et j’ai raconté leur histoire, eux qu’ils ont commencé l’école qu’en octobre, juste à la fin de la cueillette des pommes. J’ai utilisé des bandes de couleur pour délimiter les époques, vu que les petits de la maternelle ne savaient pas lire encore.  

Est-ce pour vous un défi de concilier les péripéties d'un récit conté et les données historiques?

Ce n’est pas un défi pour moi. Mon épouse avait bien raison de m’orienter vers le personnage de conteur! J’avais néanmoins de l’appréhension dans mes débuts. J’avais peur en quelque sorte que les gens ne me prennent pas au sérieux. Mais finalement non. Il faut dire que mon récit en tant que conteur s’inspire directement de l’histoire de Sainte-Geneviève et de l’île Bizard et des témoignages que j’ai recueillis auprès de ma famille et ma communauté. C’est un récit très différent de celui de Fred Pellerin par exemple, qui se construit autour de légendes.

En tant que conteur, vous visitez avec vos groupes des lieux patrimoniaux importants à Sainte-Geneviève. Quel est l’objectif de ces visites ? Est-ce qu’ultimement le conteur peut aider à la sauvegarde du patrimoine ?

Le village de Sainte-Geneviève a connu un certain déclin dans les dernières décennies. L’ouverture des grandes surfaces commerciales a fait migrer les petits commerces de Sainte-Geneviève vers Pierrefonds. Je peux en témoigner. J’ai moi-même été contraint d’y déménager mon magasin. L’objectif de mes visites, particulièrement à Sainte-Geneviève, c’est de rappeler que le village d’autrefois était plein de vie et d’activités, et avec les bons moyens, cette ébullition d’antan peut renaître, j’en suis persuadé. En renseignant le public sur les attraits de notre patrimoine, matériel ou immatériel, ça le perpétue et ça le protège. C’est ce que j’espère, en tout cas. 

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